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Obama : Entre factivité et performativité


Par Franck Cobby

Le 27 janvier 2010, le Président américain Barak Obama a prononcé son premier discours sur l’état de l’union. La crise économique américaine, le système de santé, le déficit budgétaire, la lutte des partis, la sécurité sont les principaux axes autour desquels ont tourné ses propos.

Réagissant à chaud sur ce discours, dans Facebook (1), j’ai fait l`hypothèse d’un discours convaincant à la suite duquel Obama devrait atteindre son but ultime: reconquérir le cœur des américains.
Le but de cet article est de mettre en lumière deux des procédés pragmatiques constituant la force de ce discours: la factivité et la performativité.

Ceci dit, au-delà de ce qu’Obama a dit, au-delà de ses promesses explicites et de l’organisation argumentative de son discours, qui ont une visée persuasive non équivoque, j’entends questionner la dimension stratégique.

I.- La factivité

Du latin « factum : fait » (2), la notion de factivité évoque l’idée de concrétude ou de vérité attestée. Mais en linguistique, elle implique la propriété qu’ont certains éléments langagiers de présupposer la vérité des contenus qu’ils introduisent. Lorsqu’un locuteur dit par exemple: « Je regrette que X soit absent », il dit au moins deux choses. (1) X est absent et (2) ce que je regrette. Dans le contexte de cet exemple le verbe « regretter » est dit factif. La confirmation de cette appartenance de « regretter » à la classe des factifs vient du fait que la présupposition de la vérité est tout aussi bien pertinente à la forme négative: « Je ne regrette pas que X soit absent » implique : (1) X est absent et (2) ce que je ne regrette pas.

Démarche fondamentale dans la quête de crédibilité et de légitimité, la factivité rend compte de l’activité du sujet parlant organisant son discours sous la modalité de la certitude et définissant du coup ses conditions de validité.

Dans le discours d’Obama sur l’état de l’union, la factivité est particulièrement charriée par le verbe « to know ». Comme c’est le cas de « regretter », « To know » est un verbe factif. Par la sollicitation de ce verbe comme pivot discursif, Obama dit des choses et en même temps les évalue à sa propre aune de vérité.

Plus que tout autre chose, cette posture factive est un investissement rentable dans l’art de vendre ses idées.
Voici quelques traces de la factivité dans le discours sur l’état de l’union.

I know the anxieties that are out there right now

You know what else they share?

Now, I know Wall Street isn't keen on this idea

Now, the House has passed a jobs bill that includes some of these steps. As the first order of business this year, I urge the Senate to do the same, and I know they will

I know there have been questions about whether we can afford such changes in a tough economy

And I know that with all the lobbying and horse-trading, the process left most Americans wondering, "What's in it for me?"

But I also know this problem is not going away

Now, I know that some in my own party will argue that we can't address the deficit or freeze government spending when so many are still hurting.

I know there are many Americans who aren't sure if they still believe we can change

But I also know this: If people had made that decision 50 years ago, or 100 years ago, or 200 years ago, we wouldn't be here tonight

I'd like to begin monthly meetings with both Democratic and Republican leadership. I know you can't wait.

I know that all of us love this country

A propos de You know what else they share?”, je ferai remarquer, conformément à la formule de Martin (3), que la tournure « vous savez que p » implique « je sais p aussi ». De telle sorte que cet énoncé, tout aussi bien que les autres, relève de l’état de certitude d’Obama.

To know/Savoir, verbe stratégique

En plus de la valeur de vérité dont il affuble le discours, le verbe « to know » revêt une dimension interactive qui permet à un interlocuteur de se construire une position de légitimité vis-à-vis de ses adversaires.

En situation de communication orale, on est habitué à des réponses de type « I know, I did not know that… » qui enchainent le plus normalement du monde sur un discours en mémoire. La valeur polyphonique dans ces cas ne fait pas de doute. Mais lorsqu’il s’agit de discours retranscrits, on a souvent tendance à passer outre cette dimension polémique. Je considère que l’emploi du verbe « to know » est motivé par l’existence d’un dire antérieur réel ou potentiel auquel le locuteur entend s’ajuster. « I know » est une réplique.

Cette dimension du verbe « savoir » est d’autant plus fondamentale qu’elle donne lieu à la définition des places dans le processus de communication. Celui qui sait est censé celui habilité à parler ou à prendre des décisions. En ce sens, « savoir » participe d’une stratégie de légitimation.

Mais il y a lieu de parler aussi de stratégie de captation. Il est un fait que les connaissances partagées constituent une donnée incontournable dans l’aboutissement de tout processus de communication. En se posant comme celui qui sait tout ce qui concerne les américains : leurs anxiétés, leurs attentes, leur espoir et même leur intention, Obama entend les rassurer de l’existence de cet environnement cognitif mutuel garant de leur compréhension réciproque. En fait, « to know », dans ce contexte, lui permet de créer une sorte de connivence avec son public et donc de mieux le faire entrer dans son jeu. 

Autres procédés factifs chez Obama

La vérité, dont le discours sur l’état de l’union se veut porteur, se profile aussi dans l’emploi d’autres verbes et procédés linguistiques.

La posture du témoin. Se présenter comme témoin d’un fait, c’est présupposer la vérité du fait en question. C’est ce que fait Obama dans les énoncés suivants, où il enfile son costume de témoin :

These struggles are what I've witnessed for years in places like Elkhart…

I hear about them in the letters that I read each night.

I took on health care because of the stories I've heard from.

La modalité épistémique. Cette modalité rend compte du degré de certitude du locuteur dans son évaluation de son propre discours. Les expressions du doute, de la possibilité, de la probabilité etc. sont, entre autres, des éléments de l’échelle. Mais chez Obama, c’est la vérité pure et simple qui est la norme.

Now, the true engine of job creation in this country will always be America's businesses.

But the truth is, these steps won't make up for the seven million jobs that we've lost over the last two years.

Autres verbes factifs. « To know » est de loin le verbe le plus utilisé dans le discours d’Obama. Mais d’autres verbes factifs sont à signaler :

But I realize that for every success story, there are other stories, of men and women who wake up with the anguish of not knowing where their next paycheck will come from

we have to recognize that we face more than a deficit of dollars right now.

En fait, la seule certitude qui fait défaut à Obama, c'est un plan de santé qui soit meilleur que celui qu'il propose. Mais ce savoir qui lui échappe, échappe pratiquement à tout le monde, car Obama le situe dans l’irréel du présent avec « if ».

But if anyone from either party has a better approach that will bring down premiums, bring down the deficit, cover the uninsured, strengthen Medicare for seniors, and stop insurance company abuses, let me know.

II.- De la factivité à la performativité
La notion de performativité caractérise des énoncés ayant la propriété d’accomplir un acte par le simple fait de leur énonciation. Par exemple dire « je promets… », « je jure… », « j’exige… », c’est effectivement « promettre », « jurer » ou « exiger », dans la mesure où les conditions de validation sont remplies. Ces énoncés où le « dire » se confond avec le « faire » s’opposent aux énoncés constatifs qui, eux, décrivent des états du monde : « j’ai faim, je parle, je regarde ». La particularité des performatifs, c’est qu’ils ne peuvent pas être évalués en termes de vrai ou faux.
Austin (4) qui ouvre la voie à cette réflexion au début des années 60, envisage la performativité dans un cadre plutôt institutionnel.
C’est à Searle que l’on doit leur systématisation et leur extension à des situations de communication ordinaires, en les traitant en termes d’intentionnalité. Suivant la logique de son approche, le contenu propositionnel « tu dois partir » est performatif, car il présuppose le marqueur de force illocutoire « je t’ordonne » qui contraint à ce qu’on l’interprète comme un ordre. Ainsi, se basant sur l’intention exprimée dans les énoncés, Searle (5) divise-t-il les actes de langage en cinq classes:
Les assertifs par lesquels le locuteur exprime ses croyances.

Les directifs par lesquels il fait connaître sa volonté.

Les promissifs par lesquels il signifie son intention d’accomplir quelque chose dans le futur.

Les expressifs par lesquels il marque son état psychologique.

Les déclaratifs par lesquels il transforme les états du monde.

Dans le discours d’Obama, ce sont les directifs qui dominent. Ils témoignent de l’intention du Président de modifier des états mentaux.

And again, we must answer history's call.

That is why jobs must be our number-one focus in 2010,

America must be that nation.

America must always stand on the side of freedom and human dignity.

We must continually renew this promise.

We have to seek new markets aggressively

we have to recognize that we face more than a deficit of dollars right now

So, as temperatures cool, I want everyone to take another look at the plan we've proposed.

And I want a jobs bill on my desk without delay.

Here's what I ask Congress, though: Don't walk away from reform

From some on the right, I expect we'll hear a different argument

and that's why I'm calling for a new jobs bill tonight

Now, the House has passed a jobs bill that includes some of these steps. As the first order of business this year, I urge the Senate to do the same

Tonight, I'm calling on Congress to publish all earmark requests on a single Web site before there's a vote, so that the American people can see how their money is being spent.

I'm also calling on Congress to continue down the path of earmark reform.

And I'd urge Democrats and Republicans to pass a bill that helps to correct some of these problems.

So let's put aside the schoolyard taunts about who's tough.

Let's reject the false choice between protecting our people and upholding our values.

Let's leave behind the fear and division, and do what it takes to defend our nation and forge a more hopeful future -- for America and for the world.

So let's show the American people that we can do it together.

Let's invest in our people without leaving them a mountain of debt.

Let's meet our responsibility to the citizens who sent us here.

Let's try common sense.

let's also eliminate all capital gains taxes on small business investment, and provide a tax incentive for all large businesses and all small businesses to invest in new plants and equipment.

So tonight, I'm proposing that we take $30 billion of the money Wall Street banks have repaid and use it to help community banks give small businesses the credit they need to stay afloat.

I'm also proposing a new small business tax credit

And by the way, it's time for colleges and universities to get serious about cutting their own costs
it's time to try something new.

It's time to require lobbyists to disclose each contact they make on behalf of a client with my administration or with Congress.

It's time to put strict limits on the contributions that lobbyists give to candidates for federal office. 

it's time to get serious about fixing the problems that are hampering our growth.

it's time the American people get a government that matches their decency; that embodies their strength.

it is time to finally slash the tax breaks for companies that ship our jobs overseas,

Les assertifs

A côté des directifs dont l’intention est d’influencer le comportement de l’interlocuteur, le discours d’Obama puise sa force illocutoire dans les assertifs, qui témoignent de sa force de conviction.

I'm absolutely convinced that was the right thing to do

And if I have to enforce this discipline by veto, I will.

Now, I'm not naïve.

But I am absolutely confident we will succeed.

And as Iran's leaders continue to ignore their obligations, there should be no doubt: They, too, will face growing consequences. That is a promise.

It's the right thing to do.

It's because of this spirit -– this great decency and great strength -– that I have never been more hopeful about America's future than I am tonight
Well, I do not accept second place for the United States of America.

We can't allow financial institutions, including those that take your deposits, to take risks that threaten the whole economy. 

But we cannot let them win this fight

So I'll issue an executive order that will allow us to go forward, because I refuse to pass this problem on to another generation of Americans.

We can't do it again.
But we can't stop there.
We can't wage a perpetual campaign where the only goal is to see who can get the most embarrassing headlines about the other side -– a belief that if you lose, I win.
So, no, I will not give up on trying to change the tone of our politics.

We don't quit. I don't quit

We just can't afford it

Tout compte fait, le discours d’Obama sur l’état de l’union est placé sous les signes de l’engagement, avec la modalité assertive; de la certitude, avec la posture factive; et de la volonté, avec les performatifs directifs. Si dans la logique pragmatique, « dire », c’est « faire », chez Obama, il est davantage « faire croire » pour « faire faire ».

Références bibliographiques

Documents cités

1.- Mon commentaire dans Facebook

2.-  Dictionary.Reference.com, en ligne

3.- Robert Martin : Langage et croyance: les "univers de croyance" dans la théorie sémantique, Mardaga 1987

4.- Austin J. L : Quand dire c’est faire, Seuil 1970

5.- Searle J. R. : Sens et expression, étude de théorie des actes du langage, Minuit 1982

Autres documents

François Recanati : Les Énoncés performatifs, Contribution à la pragmatique, Collection «Propositions», Minuit 1982

Catherine Kerbrat-Orecchioni : Les actes de langage dans le discours, Théorie et fonctionnement, Armand Colin 2008

Jean-Pierre Meunier, Daniel Péraya : Introduction aux théories de la communication: Analyse sémio-pragmatique de la communication médiatique, De Boeck Université 2004

Philippe Kreutz : Les factifs et l'auto-conditionnalité, Revue Romane, Bind 33 (1998)1